Demitri, alias The Krah, est enthousiaste. Il marche à l'allure d'un citadin ayant vécu et travaillé à Londres pendant 20 ans mais affronte la chaleur torride de juillet comme un véritable Athénien, plus attentif à ce qui l'entoure qu'à la température. Il est constamment en train de scruter les murs.
« Le quartier a du potentiel. Plus on s'y intéresse, plus on s'en rend compte. Il y a tellement d'espaces créatifs », explique l'artiste urbain et propriétaire de la Delirium Gallery depuis 2021, installée dans une rue résidentielle discrète de Neos Kosmos. Discrète, à moins que vous ne veniez ici pour le vernissage d'une nouvelle exposition, une fois par mois, où les artistes graffeurs et les adeptes du mouvement se retrouvent dans la rue pour sautiller, verre à la main, aux rythmes des DJ.
Nouveau départ dans un nouveau monde
« J'avais l'impression d'avoir fait le tour à Londres. Il était temps de passer à autre chose ».
Mais pourquoi Neos Kosmos, lui demande-t-on.
« Eh bien, d’ici on peut marcher jusqu'à l'Acropole », répond-il avec la joie d'un nouveau venu, même s'il a grandi à Athènes.
« Je crois que l'art permet de redonner vie aux quartiers délabrés », poursuit-il, alors que nous nous trouvons dans sa galerie pour admirer la favella intérieure qu'il a construite avec l'artiste Finch d'Athènes pour sa dernière exposition. C'est tout à fait approprié, puisque Neos Kosmos était un bidonville de réfugiés dans les années 1920. « Venez, je vais vous montrer », dit-il, et nous commençons notre promenade.
« Vous savez, cet endroit était autrefois surnommé garazoupoli (ce qui signifie "ville des garages") en raison du nombre impressionnant d'ateliers automobiles dans le quartier. » Cette anecdote se vérifie aisément, je vous mets au défi de faire plus de 200 mètres sans trouver un magasin de pièces détachées ou un atelier de carrosserie où les ouvriers locaux s'affairent sous les capots des voitures.
The Krah me conduit un pâté de maisons plus haut dans la rue de sa galerie, et descend quelques marches par une porte ouverte. J'ai l'impression de voyager dans le temps. Le panneau derrière les barres métalliques de la fenêtre du rez-de-chaussée indique à juste titre Chronokapsula, ce qui se traduit par « capsule temporelle ». Je me retrouve entourée d'objets vintage : poupées, figurines Playmobil, jeux de société, livres, bandes dessinées, cassettes audio, jeux vidéo Nintendo, autocollants et animaux en peluche. C'est le paradis pour un collectionneur de jouets qui ne veut pas dépenser une fortune et surtout l'endroit idéal pour montrer aux jeunes d'aujourd'hui à quoi ressemblait la vie avant Internet.
Aller de l'avant
Nous nous arrêtons ensuite devant Symptom, un espace d'art contemporain fondé par The Krank, un artiste grec qui a passé du temps à Berlin avant de revenir à Athènes à peu près en même temps que The Krah. Comme il est encore tôt, nous collons notre visage à la fenêtre, pour jeter un coup d'œil à l'intérieur et vérifier s'il y a quelqu'un. La lampe à l'extérieur du studio – une sorte de tige rouge dans un cadre métallique – est éteinte.
« Tu devrais revenir ici », dit The Krah avant de s'éloigner à grandes enjambées. Symptom n'est qu'un des espaces de ce quartier où l'expression artistique occupe le devant de la scène : studios de céramique, ateliers communautaires, peintures murales sur les terrains de basket et les murs du quartier, wagons de tramway tagués sur la nouvelle ligne de tram, les rues de Neos Kosmos bouillonnent de créativité.
Manger, boire, être heureux
C’est probablement Fita qui a attiré les premiers gourmands de la ville à Neos Kosmos et mis le quartier sur le devant de la scène culinaire. Cette taverne gastro est située juste à côté de la ligne de tram et propose une cuisine ouverte axée sur les fruits de mer avec un menu qui change tous les jours. « Mes amis disent que c'est génial, mais je n'ai pas encore trouvé le temps d'y aller », explique The Krah.
« Oh, et pour l'apéro, on se retrouve à Teras. C'est un peu plus haut de gamme que les autres établissements du quartier, mais les cocktails sont excellents. L'établissement se trouve dans un magnifique bâtiment néoclassique, avec un jardin à l'arrière. Ils organisent aussi des expositions d'art à l'étage. ». Le jardin est un véritable oasis pour le quartier. Les tables sont placées sous un imposant figuier donnant l’impression d’enlacer un autre olivier tout aussi grand, dont les branches s'inclinent vers le soleil.
Nous nous dirigeons vers la rue Kallirois, frontière officieuse entre Koukaki et Neos Kosmos. Tout quartier de la culture underground qui se respecte a son disquaire. Et cela se vérifie ici avec Underflow. Installé dans un ancien atelier de réparation de motos, ce magasin cool avec un éclairage tamisé est un petit havre de paix pour ceux qui pensent que la musique est encore plus appréciable lorsqu'elle est écoutée en analogique.
Le toit du monde
Le soleil est à son zénith et il commence à faire chaud pour marcher, alors il s’agira de notre dernier arrêt. Nous montons une colline, des escaliers et un énorme rocher sur la colline de Kynosargous. Cette colline offre une vue vertigineuse à 360 degrés sur toute la ville, sous un angle que je n'avais jamais vu auparavant. La mer scintille. Philopappou, l'Acropole et Lycabette sont parfaitement alignés. Le soleil de midi blanchit les bâtiments d'un blanc éclatant et nous pouvons apercevoir les réservoirs d'eau argentés. Le Krah se tient là au sommet, avec les mains en l'air, tel le roi du monde, le roi de ce nouveau monde.
« Tout le monde dit que l'art est une passion. Je pense que c'est plus une obsession qu'autre chose. Même si je ne n'avais pas pu en vivre, je l'aurais fait de toute façon », déclare-t-il.
Il voit du potentiel partout ; chaque rue est une découverte, chaque mur une toile. Et le quartier qu'il a choisi ne lui a pas donné tort. Pour l'instant, Delirium reste la seule galerie de street art en Grèce. Celle-ci sert de plaque tournante pour les artistes et les amateurs d'art. Dans cette ville qui semble respirer le changement, ce n'est qu'une question de temps avant que d'autres ne lui emboîtent le pas.