L'univers Fassianos
Le peintre et sculpteur grec Alekos Fassianos (1935-2022), qui a travaillé aussi bien en Grèce qu'à l'étranger, a créé certaines des œuvres les plus marquantes de l'art grec du XXe siècle. Vous avez probablement déjà croisé l'une de ses peintures aux couleurs vives représentant des cupidons brossés, des oiseaux et des cyclistes, dans des tons profonds de rouge et de bleu souvent ponctués d'or. Né et élevé à Athènes, l'artiste défunt aimait profondément sa ville et l'a toujours utilisée comme source d'inspiration pour ses œuvres. Dans ce petit guide, nous explorons le centre-ville d'Athènes à travers les yeux de l'artiste en suivant une série de peintures murales et de sculptures publiques qu'il a créées et qui nous invitent à voir la ville avec un nouveau regard, le sien.
Fassianos a passé la majeure partie de sa vie entre Paris et Athènes et a été exposé dans les plus grands musées et galeries du monde entier. En 2004, la Galerie nationale d'Athènes a organisé une grande rétrospective de son œuvre. Mais son rayonnement ne se limite pas au monde des beaux-arts, il s'étend à la culture populaire : lorsque vous entrez dans un hall d'entrée, un bureau ou un salon à Athènes, il y a de fortes chances qu'il y ait un poster de Fassianos quelque part sur un mur. Quelques-unes de ses peintures ont même fait leur apparition dans un épisode de la sitcom américaine Golden Girls (saison 2, épisode 8, si votre curiosité a été piquée).
Fassianos a grandi proche de l'Église Agios Pavlos, dans le quartier de Metaxourgio. Son enfance a coïncidé avec l'entre-deux-guerres et les turbulentes années 1940, une époque où Athènes n'avait vraiment rien à voir avec ce qu'elle est aujourd'hui. Les rues étaient bordées de maisons de ville basses et néoclassiques, chacune avec sa propre petite cour. Le quartier comptait encore des dizaines de petites boutiques et d'artisans qui animaient les rues tout au long de la journée. Fassianos a grandi dans l'une de ces maisons, et c'est cette enfance simple et paisible d'un autre temps qui a donné le ton à la quasi-totalité de son œuvre. Sa maison familiale de Metaxourgio est aujourd'hui le musée Alekos Fassianos, ouvert au public début 2023 (voir ci-dessous).
Tout au long de sa carrière, Fassianos a cherché l'inspiration dans l'art populaire et l'art grec classique. Et même lorsque qu'il aborde un sujet simple tel que la vie dans les villes modernes, il arrive à raconter une histoire presque mythique. On pourrait y voir un sentiment de nostalgie pour les années plus simples et innocentes qui ont précédé l'urbanisation massive d'Athènes. Dans son travail, il négocie constamment sa relation avec Athènes, ses souvenirs et sa sensibilité artistique face aux changements soudains de la ville des années 1960. C'est ainsi que sont nés les différents concepts visuels caractéristiques- personnages, figures mythiques, animaux, plantes, insectes - qui forment ce que l'on appelle souvent l' « univers Fassianos ».
Une vision artistique globale du monde
En grand curieux et créatif qu'il était, Alekos Fassianos aimait travailler avec un large éventail de supports artistiques. Il a ainsi peint des toiles, des fresques murales plus grandes que nature et réalisé d'innombrables lithographies, dessins et affiches. Il a également travaillé avec plusieurs métallurgistes pour créer des sculptures en bronze et s'est même amusé à concevoir les meubles de sa propre maison. Fassianos a également écrit une série de livres dans lesquels il a consigné ses souvenirs de l'ancienne Athènes, ainsi que ses convictions artistiques. Dans son esprit, il n'y avait pas de distinction entre ce que nous appelons les beaux-arts et l'art fonctionnel. Au contraire, il pensait que l'art devait être partout autour de nous pour pouvoir être apprécié à tout moment. Pas seulement entre les murs d'une galerie ou en tant que chef-d'œuvre exposé.
Ses idées sur un environnement urbain entièrement pré-conçu ont été exposées dans le livre Gia Mia Anarchi Poli (Pour une ville non réglementée, 2004), qu'il a coécrit avec l'architecte Tassis Papaioannou. Dans la préface du livre, Fassianos déplore le caractère brouillon de l'Athènes moderne, où l'on peut voir « des bâtiments hauts à côté de bâtiments bas... un mélange de styles et d'opinions différents ». Papaioannou et lui présentent des projets et des dessins avec une nouvelle approche de l'espace public athénien. En résulte une harmonie visuelle à tous les niveaux, depuis l'architecture des façades à l'aménagement des rues jusqu'aux arrêts de bus, aux bancs et à la signalisation. Dans ce livre, nous pouvons voir l'imagination de Fassianos appliquée à l'échelle urbaine. Son univers prend vie et vient créer un environnement totalement différent pour notre vie quotidienne.
Les ébauches et les idées contenues dans Anarchi Poli n'ont jamais été réalisées à grande échelle, mais Fassianos a tenu à appliquer ses concepts à divers espaces et objets qu'il a créés pour lui-même et sa famille. Le bâtiment co-créé avec l'architecte Kyriakos Krokos pour le musée Fassianos est un exemple de la manière dont il voulait intégrer des éléments artistiques dans le bâtiment lui-même. Il a dessiné des motifs et des mosaïques dans le béton avant qu'il ne soit coulé, et a créé lui-même tous les détails, jusqu'aux poignées de porte et aux grilles de ventilation ; la façade, en particulier, a été soigneusement pensée pour être accueillante, humaine et agréable à l'œil.
Pour sa propre maison dans le quartier de Papagou, Fassianos a créé lui même son espace de vie. Il a dessiné chaque meuble (il détestait la production de masse de manière générale) et a ajouté des pigments personnalisés au mortier sur les murs au lieu de les peindre. En collaboration avec la galerie Carwan d'Athènes, la société Alekos Fassianos Estate a mis à la disposition du public la plupart des créations de l'artiste défunt, afin de faire découvrir au plus grand nombre cette partie souvent méconnue de son travail créatif.